Beckham : nouvelle réflexion de Nicolas Winding Refn
Sujet : les fesses de David Beckham. Professeur-surveillant : la marque H&M. Délai : une minute et quarante secondes. Copie à rendre pour : le 2 février 2014, pendant le Super Bowl américain. Retenez bien : toute communication au public de l’objet est interdite avant le lundi 27 janvier. Pas de problème pour un professionnel de l’objet caméra comme le danois Nicolas Winding Refn. Pour cette nouvelle publicité, qui devait être un « film d’action », un « très gros budget » a été alloué au réalisateur de Drive et Bronson. Qu’en a-t-il fait ? Pari : de la réflexion sur lui-même, et sur l’art.
Nicolas Winding Refn n’est pas quelqu’un qui donne l’impression de travailler pour de l’argent. « Il a signé le succès Drive en 2011 », me direz-vous. « Avec le beau Ryan Gosling », ajoutera une entité féminine en présence. Que répondre ? « Regardez donc, si vous l’osez, Only God forgives, film de 2013 ». Inertie totale du scénario, violence extrême des scènes, Thaïlande pas glamour pour deux sous. Et rôle absurde, tête à claque et mou attribué au beau Ryan, qui, mais oui mesdames, se retrouve manchot. On n’apprivoise pas un danois cinéaste. Winding Refn en est une preuve, parmi d’autres.
Voici que la marque H&M lui confie un film publicitaire à tourner. But : faire la promotion de la nouvelle collection de sous-vêtements « David Beckham Bodywear ». Le joueur de foot, à la retraite depuis mai dernier, sera bien entendu de la partie. Peu vêtu. Sur un toit. Et au centre d’un « film d’action », l’une des spécialités de Nicolas Winding Refn. Un gros budget est alloué. Premier dévoilement : lundi qui vient… Va-t-on se retrouver face à un objet clinquant et bêtement promotionnel ?
Que nenni a priori, si l’on connaît la personnalité de celui qui tient l’objectif. C’est que c’est un artiste, un vrai, Nicolas. Et comme tout artiste qui pratique son art avec passion, il aime à parler de lui à travers ce qu’il tourne. Il n’hésite pas à faire part de ce versant de son œuvre lors de ses entretiens. On peut prendre une grande partie de ses films comme des autoportraits : le sublime Bronson (2009), qui révéla Tom Hardy, apparaîtrait ainsi comme une quête d’absolu, une interrogation d’artiste sur le grand-œuvre qu’il cherche à créer ; Drive comme une quête de sens, de direction artistique ; Only God forgives, comme une quête d’échappatoire ; et avant eux, le superbe Pusher n°3, comme une quête de stabilité, avec son personnage de mafieux de Copenhague, adepte de la saignée, qui ne demande qu’une chose à sa routine quotidienne (vente de drogue, menaces et blanchiment d’argent) : être à l’heure pour l’anniversaire de sa fille. Au Danemark, on ne dort pas tranquille. Surtout quand on est artiste.
Elle sera donc intranquille, cette publicité. Mais pas tout à fait dans le sens escompté. Dans une vidéo d’une minute diffusée sur Internet, Nicolas Winding Refn parle de David Beckham comme d’une « incredible photogenic personnality », comme d’un « magnet ». Il l’admire pour ses cascades, qu’il effectue lui-même. Est-il fan, me direz-vous ? Eh non, il est bien trop égocentrique pour ça, Nicolas.
Il tourne un film publicitaire sur la fascination et le danger, réunis tous deux ici. Connaissant sa propension à parler de lui-même, on peut tout à fait penser que cette bande constituera, en creux, une réflexion. Qu’il réfléchira, à travers elle, sur elle. Sur le budget qui lui a été donné : « j’ai des moyens illimités, qu’est-ce que j’en fais ? » Fascination et danger. Sur sa star : « j’ai quelqu’un d’intouchable, j’aime mettre les acteurs en danger, que puis-je faire ? » Fascination et danger. Sur le public : « je vais lui donner Beckham, mais à quel prix ? est-il capable de le suivre envers et contre tout ? » Fascination et danger. Etat des lieux de l’intériorité d’un artiste. Beckham, une marque, de l’action, un grand réalisateur qui s’interroge sur ce qu’il tourne, et vous. N’est-ce pas un cocktail suprêmement excitant ? proposé en double, en plus : le lundi 27 janvier, rendez-vous sur le site de la marque pour choisir, entre deux versions, votre préférée. Réflexion, encore et toujours. Belle preuve que, au pays du prince Hamlet, elle ne s’arrête jamais.
http://youtu.be/r_eSgXfjUPw
Visuel: © affiche du film Only God forgives
Visuel: affiche pour la collection David Beckham Bodywear, 2013 © H&M
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